Ce jeudi 5 novembre, l’UFS organisait sa 11e Assemblée Générale Publique dans le cadre des Journées de l’UFS. Sur le plateau TV monté pour l’occasion, 10 experts des sujets politiques et agricoles se sont succédés pour 2 heures d’échanges autour de la thématique « La semence, premier maillon de la stratégie Farm to Fork ».
Près de 300 personnes ont assisté en direct aux débats, conclus par M.Julien DENORMANDIE, Ministre de l’Agriculture et l’Alimentation.
Nous vous proposons de vous replonger dans cette passionnante après-midi .
Après une rapide introduction des principes de Farm to Fork, Monsieur LAMY, Président Emérite de l’Institut Jacques Delors a exposé les grands équilibres mondiaux en matière d’alimentation. Au-delà de la croissance démographique et de la transition nutritionnelle, il a pointé la montée du « précautionnisme » du côté de la demande, caractérisé par une attente très forte en matière de produits sains et durables.
Monsieur Lamy a par ailleurs rappelé que 80% de l’augmentation de la production agricole mondiale était liée aux innovations, les 20% restants étant attribuables à l’accroissement de surfaces, s’expliquant par la pression mondiale sur le foncier agricole.
La nouvelle réforme de la PAC prévue pour 2023 représente, aux yeux de Monsieur Lamy une opportunité pour les semences, notamment dans un contexte où la sécurité alimentaire doit être renforcée. Il invite notamment à reconsidérer la définition de la sécurité alimentaire, qu’il présente comme une combinaison de quantité, de santé et d’impact de la production sur l’environnement.
C’est selon cette définition, et en proposant une approche narrative davantage basée sur les sciences humaines, que la profession semencière pourrait être en mesure de remodeler le débat public et d’expliquer la valeur ajoutée portée par ses acteurs. Aussi, alors que la Chine et les Etats Unis se dotent de politiques plus dynamiques sur les semences, Monsieur Lamy souhaite que la stratégie Farm to Fork permette une prise de conscience et ouvre les débats publics sur la question des biotechnologies appliquées aux semences.
Sur le déploiement de la stratégie Farm to Fork, Jeremy DECERLE, Député Européen Renew Europe a indiqué que le travail au Parlement européen n’avait pas réellement débuté, étant pour le moment essentiellement concentré sur la PAC. La stratégie devrait en effet être examinée au premier semestre 2021 et faire l’objet d’un rapport spécifique.
Pour Monsieur DECERLE, la durabilité du projet agricole européen devra se traduire par un accompagnement de l’ensemble des agricultures, dont la diversité est indispensable pour répondre aux multiples attentes sociétales.
Pour ce faire, il est indispensable d’accompagner les hommes et femmes de l’agriculture par l’intermédiaire de politiques environnementales spécifiques mais aussi des mesures œuvrant au maintien des travailleurs sur les territoires. Les dispositifs complémentaires à la PAC promus par la Commission Européenne (type eco-scheme), vont dans le sens d’un développement des pratiques vertueuses. Pour Jéremy DECERLE, la France possède une certaine avance sur la stratégie et joue un rôle moteur à l’échelon européen.
Eric THIROUIN, Président de l’AGPB et du Contrat de Solution, a invité en préambule à reconnaître l’excellence de l’agriculture française, si régulièrement critiquée malgré ses performances environnementales.
Face à la nécessité de produire davantage et mieux, Eric THIROUIN rappelle que cet objectif passe obligatoirement par des semences pointues, fines, en adéquation avec les demandes et attentes exprimées par les producteurs. Le débat doit être mené, à l’échelon français et européen, sur les nouvelles méthodes de sélection et leur place au sein des filières agricoles.
Les agriculteurs sont disposés à améliorer les pratiques, comme l’illustre le Contrat de Solutions. Cette mobilisation a pour objectif de faire comprendre qu’il existe déjà des leviers et que la profession est volontaire pour appuyer ce changement. Monsieur THIROUIN rappelle que l’issue technique passera par la combinaison des solutions, notamment en s’appuyant sur les 22% des fiches variétales aujourd’hui disponibles sur le terrain.
Nathalie KERHOAS, Directrice Générale de l’Association Bleu Blanc Coeur, a présenté en introduction l’implication de son organisation dans une demarche de valorisation des aliments, de leurs bénéfices nutritionnels et environnementaux ainsi que leur valeur ajoutée dans le tissu économique rural.
Les enjeux de durabilité et de santé étant intimement liés dans l’esprit du consommateur, l’évolution des modes de consommation doit désormais s’accompagner d’un changement des modes de production. La démarche Bleu Blanc Cœur illustre particulièrement l’impact positif de pratiques agricoles alternatives, avec par exemple une baisse de 30% du carbone grâce à des choix de production spécifiques.
Madame Kerhoas souligne que les semenciers sont le premier maillon de la filière Bleu Blanc Cœur et soutiennent, par la R&D, la remise en culture de légumineuses fourragères pour remplacer les importations de soja.
Didier NURY, Directeur Général de Top Semence, a rappelé que la vocation du métier de semencier est de rassembler ce qu’il y a de meilleur dans la nature afin de le mettre au service de la société. Premier maillon de la chaine alimentaire, la semence est intrinsèquement porteuse de durabilité et doit être intégrée dans les différentes stratégies européennes (Farm to Fork notamment) et française (France Relance).
L’évolution des pratiques est une réalité pour le secteur semencier, et ce depuis plusieurs années. Elle se traduit par exemple, par la multiplication des essais de résistance aux stress hydriques, des essais de biostimulants, mais également la sélection de variétés destinées à l’agriculture biologique (3 fois plus de variétés bio inscrites en 10 ans) et le développement des espèces de légumineuses.
Les semenciers sont les partenaires indispensables du déploiement de nouvelles filières agro-alimentaires, à l’image de la démarche Bleu Blanc Coeur. Les entreprise sont également structurantes à l’échelle locale, participant quotidiennement aux dynamismes des territoires ruraux.
Pour Dominique REYNIÉ, Directeur Général de FONDAPOL, le doute est un élément existentiel chez les européens, qui s’applique désormais à leur place dans le monde. La crise sanitaire a d’ailleurs mis les européens face à l’expérience de leur très grande fragilité.
A l’image de Pascal LAMY, Monsieur REYNIÉ invite à consolider la souveraineté alimentaire, sans oublier que l’Europe a un rôle à jouer par l’intermédiaire de ses exportations : faire en sorte que les consommateurs internationaux aient du choix.
Il rappelle que, dans un monde plus incertain et mouvant qu’hier, il est indispensable pour notre pays d’améliorer sa souveraineté alimentaire en gagnant en autonomie sur certaines importations de commodités.
Il qualifie par ailleurs de « désastre,[…] d’objet de mélancolie », la décision européenne à propos du génie génétique. De fait, il considère que l’Europe et la France possèdent une très grande science dans l’agronomie qu’il convient d’entretenir, au risque de la voir s’éteindre. Aujourd’hui, on se prive de la puissance de l’esprit et de la science alors que les défis à relever sont immenses.
Enfin, il appelle les semenciers à s’appuyer sur leurs alliés pour expliquer et valoriser les solutions qu’ils portent pour le monde agricole.
Nicolas TURQUOIS, député et agriculteur-multiplicateur de semences a souligné dans son allocation le chemin parcouru par l’agriculture, devenue très technique, poussant les citoyens à se questionner. Parmi les solutions, le dialogue et l’illustration des réalités, des contraintes sont des moyens essentiels pour faire rétablir le lien entre agriculture et société.
Monsieur TURQUOIS appelle également à encourager la recherche variétale et ses potentialités, en faisant référence notamment à la technique CRISPR-Cas9, qui permet d’accélérer le temps de la sélection.
Il rappelle que le politique doit organiser les conditions du dialogue et favoriser, dans l’espace public, l’habitude d’aller vers l’autre. Enfin, s’appuyant sur son expérience en tant qu’agriculteur, Nicolas TURQUOIS partage sa certitude que l’agriculture d’aujourd’hui est plus vertueuse que celle d’hier.
Pour Yves PUGET, rédacteur en chef de LSA, l’innovation est le moteur de la croissance. Elle est éminemment nécessaire car c’est ce que les consommateurs attendent. En effet, si ce dernier est devenu particulièrement versatile et compliqué à saisir, l’innovation reste un élément clé de la relation à la consommation.
Yves PUGET adresse en ce sens un message positif aux entreprises semencières, en les invitant à ne pas ralentir leurs investissements en R&D. Il regrette que la culture française soit si prompte à pointer les échecs et inhibe ainsi la volonté d’innover. Il rappelle qu’il est nécessaire de créer de la nouveauté qui possède du sens et répondent aux attentes exprimées réellement par le consommateur.
Xavier THEVENOT, Directeur Développement Durable chez Syngenta évoque l’aspect protéiforme de l’innovation au sein des métiers des semences. Elle est en effet présente dans la recherche, la production mais aussi la distribution (toujours et de plus en plus le champ mais équipé big data, sélection assistée par marqueurs, phénotypage haut débit). Mais cette innovation s’inscrit dans le temps long (7 à 10 ans pour créer une nouvelle variété), qui s’accorde difficilement avec la perception et les attentes exprimées par la société ou le politique.
Il souligne, en complément à Didier NURY, l’adéquation des axes de recherche avec ces préoccupations notamment afin de lutter contre les bio-agresseurs, tel que le chou multi-résistant maladies permettant de d’éviter 2 à 3 traitements en végétation.
Xavier THEVENOT évoque la nécessité d’un volontarisme politique plus marqué à propos du cadre règlementaire actuel autour des méthodes de sélection. Le soutien à la recherche privée est un levier important pour pérenniser l’innovation sur notre territoire, notamment par l’intermédiaire du crédit d’impôt recherche. Malgré les freins existants, notamment les préoccupations de la société sur la légitimité de l’usage de ces techniques, Xavier THEVENOT rappelle l’incessant travail mené par les salariés dans la R&D.
En conclusion de ces Journées de l’UFS du 5 novembre, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a tenu à adresser un message à la filière semencière. Il a d’abord souligné le fait que cette filière représentait « une importance stratégique pour l’économie française », permettant de lutter contre trois dépendances : « les marchés mondiaux », la « ressource en eau », les « intrants ».
En effet, comme il l’a indiqué, « la sélection variétale (…) permet d’identifier des variétés plus tolérantes aux différents stress », le ministre prenant l’exemple de la jaunisse de la betterave et des 7 millions d’euros provisionnés pour la recherche de solutions.
Il a également montré tout son soutien à la filière semencière : « la sélection variétale se situe en amont de la production agricole, c’est l’un des leviers majeurs des différents enjeux (…) disposer de semences performantes est ainsi un élément déterminant de transition, c’est d’ailleurs un savoir-faire français que je compte bien soutenir avec force et détermination ».
Julien DENORMANDIE a concrétisé ce soutien en expliquant que 5 millions d’euros du plan de relance seraient « consacrés à l’innovation variétale dans le domaine des plantes riches en protéines », les modalités cette aide restant encore à préciser, et en expliquant que d’autres fonds, notamment issue du prochain PIA, seraient « également mobilisés pour soutenir l’innovation variétale ». Il a particulièrement insisté sur les besoins en indépendance protéique.
Enfin, le ministre n’a pas manqué d’évoquer les « nouvelles techniques de sélection, dites NBT », qui selon lui « peuvent faire gagner énormément de temps, là où il faut actuellement près de 10 ans pour développer de nouvelles variétés, elles sont donc extrêmement utiles ». Il s’est toutefois dit « conscient » des enjeux techniques et liés à leur statut de ces plantes, appelant justement à une révision de leur encadrement règlementaire : « je souhaite que le cadre juridique continue à innover, en matière de sélection variétale, dans un objectif évidemment de sécurité sanitaire et environnementale, mais aussi dans un objectif d’une agriculture plus durable ».
A propos de la destruction des parcelles d’essai, il a enfin indiqué : « je veux être très clair : ces actes sont injustifiés, et (…) doivent être condamnés fermement ».
En mot de clôture, le Président de l’UFS, Claude TABEL, a salué les mots du Ministre de l’Agriculture, soulignant l’importance de ce soutien pour la profession et les salariés. Il a conclu en se félicitant des incitations positives que porte Farm to Fork, qui épousent parfaitement la position des adhérents de l’UFS et rappelé la mobilisation quotidienne des entreprises semencières pour apporter des solutions appréciées par les agriculteurs.