Le 6 mai 2021, les Rencontres de l’UFS (en partenariat avec L’Opinion) se sont tenues sous un format dématérialisé, organisées sous le patronage du député Jean Baptiste Moreau. Cet événement s’est tenu dans le contexte de la récente publication par la Commission européenne de son étude sur les nouvelles techniques de sélection génomique.
Près de 250 participants ont assisté à cette matinée d’échanges ouvrant des perspectives d’avenir attendues par les secteurs agricole et alimentaire.
Nous vous invitons à découvrir, par écrit et en vidéo, les principaux enseignements de cette matinée riche en expertises et en points de vue.
En introduction, le président de l’Union Française des Semenciers, Claude TABEL, a indiqué que cette Rencontre de l’UFS s’inscrivait dans le contexte de la récente publication, par la Commission européenne, de son étude sur les nouvelles techniques de sélection génomique. Il a tenu à rappeler que le débat autour de ces nouvelles techniques n’était pas seulement circonscrit au monde des semences, mais concernait bien évidemment « l’ensemble des filières agricoles et alimentaires ». Il s’est réjouit qu’un sujet de cette importance soit désormais au centre du débat politique, en France et en Europe.
Le député de la Creuse Jean-Baptiste MOREAU, parrain de l’événement, a ensuite pris la parole pour remercier l’Union Française des Semenciers d’avoir organisé cet événement. Il a tenu à rappeler que le secteur semencier était leader en Europe et qu’il contribuait au rayonnement agricole de la France à l’étranger. Au sujet des méthodes récentes d’amélioration des plantes, il a regretté les « visions idéologiques » qui conduisent à opposer environnement et agriculture et il a appelé à sortir des approches dogmatiques. Il s’est dit « personnellement convaincu de la nécessité de penser les biotechnologies comme outil pour relever les défis environnementaux ». Et selon lui, « la législation actuelle qui les qualifie d’OGM n’est pas adaptée ».
L’ancien ministre de la Transition écologique et actuel député de Loire-Atlantique François DE RUGY est d’abord revenu sur les critiques concernant sa participation à l’événement : selon lui, participer à des colloques fait partie intégrante de la vie démocratique et ils permettent la confrontation de points de vue contraires. Il est ensuite longuement revenu sur son expérience d’homme politique ancré dans le mouvement écologiste. Son parcours lui a permis d’observer, au fil des années, un réel « divorce entre l’écologie et la science », précisant qu’au début, l’écologie était une science avant d’être un courant politique. Selon lui, c’est d’ailleurs « le sujet des OGM qui a amené ce divorce », évoquant les actions violentes d’activistes ayant provoqué la destruction d’un laboratoire à Montpellier. Il s’est inscrit en faux contre de telles méthodes, qui ne font selon lui par partie des modes d’action politique souhaitables : « personnellement, je n’ai jamais participé à ces actions d’arrachage d’OGM ».
Interrogé sur l’utilité des produits issus des NBT, François DE RUGY insiste sur la nécessité de débattre de la génétique des plantes. Il souligne le paradoxe consistant à soutenir la recherche génétique pour lutter contre diverses maladies humaines tandis que cette recherche dans le domaine végétal fait l’objet d’un tabou. Il rappelle qu’il faut « s’adapter aux effets prévisibles du réchauffement climatique » pour continuer à maintenir ou améliorer les rendements agricoles, dans un contexte d’aggravation des effets du réchauffement climatique, de volonté sociétale de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, d’augmentation de la population et de concurrence pour l’utilisation des sols (agriculture, urbanisation, protection des espaces naturels). Il exprime l’importance de nous interroger sur les perspectives que nous offre la recherche et les bénéfices qui pourraient en résulter.
L’ancien ministre et président de l’Assemblée nationale a par la suite tenté de rappeler le rôle du politique : faire le pont entre les scientifiques et les citoyens dans les débats complexes et sensibles. D’après François DE RUGY, l’Assemblée nationale et le Parlement européen doivent être des lieux de discussion apaisée permettant de trancher les problèmes complexes. Il a par exemple proposé qu’à l’image des lois de bioéthique humaine, des lois sur la génétique des plantes et la génétique animale soient discutées tous les cinq ans, à chaque nouveau mandat parlementaire. Cela permettrait d’inscrire l’action publique dans le temps long, tout en permettant d’actualiser les règlementations en fonction des évolutions technologiques. Et donc de « remarier » la science et l’écologie, en tendant vers l’écologie du progrès et non le « projet caché » de certains qu’il considère être la décroissance
Julien FOSSE a débuté cette table-ronde en rappelant les missions et le fonctionnement de France Stratégie, organe rattaché au Premier ministre mais disposant d’une charte d’autonomie. Il a énuméré les différents défis auxquels fait face l’agriculture : le besoin de renouvellement des actifs agricoles, du fait du vieillissement de la population, le défi biophysique qui se pose à l’échelle de la planète, résultant de l’accélération à la fois du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Selon lui les politiques publiques françaises et européennes telles que la Stratégie Farm to Fork ou la Stratégie Biodiversité constituent un premier jalon pour répondre aux mutations du système agricole. La sélection végétale aura son rôle à jouer pour faire face à ces préoccupations. Il est nécessaire, selon lui, de mettre en cohérence les politiques publiques afin qu’elles ne se contredisent pas. Par exemple, si le consommateur français aspire à consommer de plus en plus de produits issus de l’agriculture biologique produits localement, 35% de tous les produits bio consommés en France sont importés. A propos de la R&D, il a insisté sur le fait qu’il fallait davantage soutenir la recherche publique. Pour autant, selon le directeur adjoint du département développement durable de France Stratégie : « il va sans doute falloir regarder certaines semences qu’on a mis de côté parce qu’elles étaient moins efficientes dans le contexte climatique actuel, mais du fait du changement du climat on va peut-être devoir se retourner vers des variétés plus rustiques ».
A propos de la souveraineté alimentaire, il a souligné qu’elle était régulièrement mentionnée mais mal définie, souvent confondue avec l’autonomie alimentaire. Il est nécessaire, selon lui, de favoriser l’autonomie alimentaire de la France et notamment son autonomie protéique. Enfin, à propos des méthodes récentes d’amélioration des plantes, Julien FOSSE a concédé que le sujet était « très technique » et donc qu’il était nécessaire que le débat soit « le plus ouvert et le plus transparent possible ». Il a cité, en référence, le débat mené par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) qui était selon lui réussi.
David GOUACHE a commencé son intervention en rappelant le rôle de Terres Inovia, au service des agriculteurs et de tous les maillons des filières, dont la semence. Terres Inovia, Institut Technique vise notamment, à « résoudre les problématiques techniques » que chaque maillon rencontre, par l’innovation. Il a ensuite expliqué que l’Europe était dépendante à deux tiers des importations de matières végétales riches en protéines, mais la France qui a su développer une filière colza et tournesol ne l’est qu’à 50%. Il a indiqué que la souveraineté alimentaire (production locale, tracée, répondant aux besoins de naturalité, préservation de biodiversité…) représentait le principal « challenge », mais a regretté que les agriculteurs soient pris dans un « effet ciseau » entre changement climatique d’une part, et « excès règlementaires » d’autre part, empêchant les agriculteurs de cultiver sereinement. Il a notamment évoqué le cas du colza et des restrictions concernant les pesticides. Selon lui, « en voulant protéger la biodiversité, on réduit la ressource alimentaire des pollinisateurs ».
A propos du potentiel des méthodes récentes d’amélioration des plantes, David GOUACHE a affirmé qu’il y avait « beaucoup à attendre du monde de la semence », évoquant notamment des huiles plus équilibrées en acides gras pour la santé, des tourteaux réduisant les pollutions environnementales. Mais il y aurait également un problème de sous-investissement de la recherche sur certaines petites espèces : « il faut stimuler la capacité à investir durablement sur les petites espèces, particulièrement les légumineuses, pour vraiment créer du progrès ».
Stéphane DELEAU, de son côté, a débuté son intervention en indiquant que la France avait en effet besoin d’augmenter sa production de protéines locales. 80% des protéines consommées actuellement sont françaises, mais il a toutefois reconnu que la France peinait à développer des produits à haute teneur en protéines : « plus on monte dans le taux de protéine, moins on sait faire et plus on est dépendant ». Il a aussi affirmé que la sélection variétale permettait de répondre aux enjeux de la filière, mais qu’elle devait encore accélérer ses efforts de recherche : « le monde de la semence, qui nous aide beaucoup, doit accélérer, parce que cette notion de dépendance, de qualité, a un corollaire qui s’appelle le prix ». Et il a ajouté : « on a tout intérêt à ce que la partie de la sélection en amont soit le mieux aidée, le mieux organisée possible pour que nous puissions bénéficier de cette technologie pour transformer ce végétal vers l’animal, pour arriver avec un produit au consommateur qui soit de qualité ». A propos de de la souveraineté, il a indiqué qu’on « frôlait régulièrement la rupture ». Les besoins méritent donc selon lui d’être pris en compte par la société, le statu quo n’étant plus possible.
César GONZALEZ a d’abord rappelé le rôle et le périmètre d’Euroseeds, la fédération européenne des semences. Il a notamment expliqué qu’en France comme à l’échelle européenne, le secteur semencier était « très innovant », avec en moyenne 20% du chiffre d’affaires annuel investi dans la recherche et le développement de nouvelles variétés pour continuer à développer une agriculture durable et productive, répondant aux besoins des consommateurs. Il est ensuite revenu sur l’arrêt de la CJUE, en juillet 2018, donnant lieu à un débat inédit en Europe, alors même qu’il était exporté depuis la France : « on ne connaissait pas ce débat dans l’Union Européenne ». A des fins de pédagogie et en réponse aux sollicitations des institutions européennes, César GONZALEZ a expliqué qu’Euroseeds avait mené une enquête auprès de ses adhérents, afin de « voir quelle est d’un côté la recherche concernant les nouvelles techniques (…), quels sont les potentiels, quel a été l’impact de l’arrêt sur la filière ». D’après l’enquête, 100% de grosses entreprises, 85% de moyennes entreprise, environ 50% de petites entreprises ont des activités de recherche et développement liées aux NBT. L’étude montrerait aussi que les PME focaliseraient davantage leurs efforts de recherche au sein de l’Union européenne (les rendant dépendantes de la règlementation), par rapport aux grandes entreprises qui sont également implantées dans d’autres régions du monde. D’après lui, l’étude a aussi montré que l’arrêt de la CJUE avait eu deux types d’impact : à la fois le report dans le temps des mises sur le marché et la réduction ou la cessation pure et simple des efforts d’investissement dans la recherche.
Concernant l’étude de la Commission Européenne de mars 2021, il s’est félicité des conclusions qui vont dans le sens de ce qui a pu être observé avec le corps scientifique de l’UE, mais il déplore le manque d’urgence exprimé qui est nécessaire pour agir et qui peut avoir des effets négatifs pour la filière semencière. Il a conclu son intervention en appelant à l’ouverture d’un débat sur la révision de la règlementation : « On est vraiment ouvert à s’engager dans un débat constructif autour d’une proposition concrète (…) ». Euroseeds anticipe cette discussion en publiant le 17 mai une étude qui évaluera le rôle que la sélection végétale a eu pendant 20 ans en Europe et le rôle que l’amélioration génétique pourrait avoir au cours des 20 prochaines années.
Gérald BRONNER a débuté cette table-ronde en démontrant que les biotechnologies étaient victimes de la peur des citoyens. Il a notamment souligné le fait qu’il existe de fortes divergences entre le consensus scientifique et les avis des citoyens (qui existent sur d’autres sujets : vaccins, 5G, compteur Linky…). Cette méfiance s’explique à la fois par des raisons historiques, certaines industries ayant tenté de manipuler l’opinion (tabac) ou d’autres faits ayant marqué l’opinion (amiante), mais aussi par la dérégulation de l’information : la population est assommée d’informations, qui lui donnent l’impression de savoir et fait diffuser la méfiance.
Gérald BRONNER a également montré qu’avec la démocratisation du marché de l’information, on assiste à une véritable asymétrie de visibilité des points de vue, avec une surreprésentation des avis négatifs. Il a souligné que la science n’était jamais autant discutée que lorsqu’elle était contre intuitive. Lorsque l’on suspend sa pensée critique, on résiste mieux aux fausses informations. Pour contrer ces biais, il faut selon lui que la science tienne compte de la réalité du cerveau lorsque qu’elle communique sur des sujets sensibles, car le cerveau a tendance à mieux évaluer les coûts que les bénéfices dans le cadre d’une innovation technologique. Gérald BRONNER a montré que la meilleure façon de contredire les personnes farouchement opposées à la science est de les confronter au bénéfice qu’ils auraient pu en tirer. Enfin, le sociologue a encouragé au développement de l’esprit critique et à la valorisation du doute.
Valérie MAZZA a débuté son intervention en confirmant les propos de Gérald BRONNER, estimant qu’ils étaient réalistes par rapport à la situation vécue par les entreprises semencières. Selon elle, il convient d’engager un débat efficace avec la société. Valérie MAZZA a rappelé que le débat était issu d’une rencontre entre la culture scientifique et la culture agricole, et qu’il était nécessaire de faire un effort supplémentaire de communication. Elle a aussi appelé à peser dans le débat avec « discernement et intelligence ». Interrogée sur le métier de semencier, Valérie MAZZA a rappelé qu’il prenait ses racines dans le néolithique, et qu’il reposait sur des gestes ancestraux : observation et identification des plantes intéressantes, croisements et choix des individus les plus productifs et résistants. Progressivement, la science a été introduite dans ce processus, et les outils de la science permettent désormais de mettre à profit des phénomènes de mutation spontanée, qui interviennent à une fréquence élevée. L’activité semencière s’est constituée en métier au XVIIIème siècle, et au XXème siècle le métier est devenu un secteur d’activité. La France est devenue pionnière en matière d’amélioration des plantes et est désormais le premier exportateur mondial.
Valérie MAZZA a évoqué le fait que le métier de semencier touchait au vivant, à l’alimentation, à l’environnement, et qu’il tirait sa grandeur et sa noblesse de sa capacité à faire plus (plus écologique, plus résistant…) tout en respectant de multiples cadres réglementaires : règles sanitaires, de circulation des ressources génétiques, de mise sur le marché, de propriété intellectuelle ou encore de contrôle de la qualité.. Les semenciers sont capables de gérer les injonctions contradictoires, mais souhaitent explorer le potentiel des nouvelles technologies, dans un cadre réglementaire proportionné.
Alexandre HUCHELMANN a rappelé les principales conclusions du rapport de la Commission européenne du 29 avril 2021 sur les nouvelles techniques génomiques, techniques capables de modifier le matériel génétique d’un organisme, apparues ou mises au point depuis l’adoption de la législation actuelle sur les OGM en 2001. Le Conseil de l’Union européenne a considéré qu’il était nécessaire de clarifier la situation à la suite de l’arrêt de la CJUE. Pour le Conseil, l’application de la législation OGM aux nouvelles techniques aurait des conséquences pour l’industrie, la recherche et d’autres secteurs. L’étude s’est penchée sur les nouvelles techniques, à la fois relatives aux plantes, aux animaux et aux micro-organismes, tout en tenant compte des grands objectifs politiques européens (le Green Deal, Farm to Fork, la stratégie Biodiversité).
Alexandre HUCHELMANN a rappelé que l’étude soulignait un certain nombre de bénéfices (résistance aux maladies et aux ravageurs notamment), qui contribueront selon lui aux objectifs politiques européens. Il a aussi annoncé les prochaines étapes du processus européen : grâce à ce rapport, la Commission a conclu qu’il y avait suffisamment d’éléments pour entamer un processus politique ciblé, qui aura pour objectif de fixer un nouveau cadre réglementaire proportionné permettant l’innovation. Une analyse d’impact sera effectuée préalablement, afin d’étudier les préoccupations et les meilleures moyens d’y répondre.
Julien DENORMANDIE a conclu cette Rencontre de l’UFS en rappelant sa passion pour les questions de sélection, lui-même étant ingénieur agronome de formation. La sélection variétale est selon lui un élément essentiel de la souveraineté alimentaire, face aux aléas climatiques et aux crises. Les semences ont un rôle crucial à jouer pour apporter durabilité et résilience. Le ministre a rappelé que la France disposait d’un patrimoine génétique riche et d’un savoir-faire reconnu. Il a assuré que la recherche variétale était un levier majeur qu’il fallait aborder avec raison et détermination. Julien DENORMANDIE s’est dit à titre personnel favorable à l’évolution de la réglementation en la matière, position confortée par le rapport de la Commission européenne. Le Ministre a assuré la filière de son soutien en prévision des discussions qui se tiendront dans le cadre du Conseil des ministres de l’Agriculture de l’Union européenne.
Finalement, Jean-Baptiste MOREAU a encouragé l’utilisation des solutions offertes par la science afin de donner de nouveaux moyens aux agriculteurs et aux différentes filières agricoles pour demain. Il convient, d’après ce député agriculteur de profession, de les accompagner et de ne pas les priver de la recherche sur ce sujet pour des raisons qui seraient idéologiques et dogmatiques. Il espère que ce sujet sera au cœur de la prochaine Présidence française de l’Union européenne (PFUE 2022) avec beaucoup de transparence.
Le Président de l’Union Française des Semenciers Claude TABEL a conclu cette matinée d’échanges qui ouvrent des perspectives d’avenir attendues par les filières agricoles et alimentaires. Il a réaffirmé l’engagement des semenciers pour répondre aux attentes de toutes les agricultures en remerciant les intervenants et les 250 participants.